Silgedicht // L’art du langage

Des définitions littéraires se découvrent

Modernité

Terme apparu au XIXe siècle avec plusieurs acceptations différentes :

1. Synonyme de la période que les historiens nomment les Tems modernes et qui s’étend de la fin du Moyen Âge à l’époque contemporaine (sens attesté dès 1823 chez Balzac. Il serait commode d’écrire en ce cas le mot avec une majuscule).

2. Caractère de ce qui est moderne, par opposition à ce qui est ancien, traditionnel ou permanent (« La vulgarité, la modernité de la douane […] contrastaient avec l’orage, la porte gothique, le son du cor et le bruit du torrent », Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 4e partie, épisode en date du 19 mai 1833).

3. Au XXe siècle, l’approfondissement de la réflexion sur l’époque moderne conduit à combiner ces deux sens : modernité peut désigner tout ce qui fait la spécificité de l’époque moderne, dans le domaine technique mais aussi culturel, philosophique, voire anthropologique. Au sens le plus général, la modernité peut alors être définie comme la condition historique de l’homme moderne, condition que l’anthropologue Georges Ballandier caractérise par « le mouvement, plus l’incertitude ».

4. Cependant, l’importance de la notion de modernité en littérature et en esthétique provient du sens particulier que Baudelaire a donné à ce mot, encore senti comme un néologisme à son époque.

Dans son opuscule sur Le Peintre de la vie moderne (1863, écrit en 1860), Baudelaire définit la modernité comme ce qui passe avec la mode, mais dont l’artiste ne peut se dispenser de tenir compte ; c’est « le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable ». Il serait donc en vain de vouloir cerner cette modernité par des traits permanents, repérables une fois pour toutes. La modernité est au au contraire ce qui change, « l’estampille que le temps imprime à nos sensations » (Baudelaire), « une fonction du temps » (Aragon, 1929), « la faculté de présent » (Meschonnic, 1988). En faisant de la modernité « la moitié de l’art », Baudelaire, le premier, donne au mot un contenu esthétique positif. L’émergence de la notion en 1860 est certes en rapport avec le contexte historique général : développement de l’urbanisation, des chemins de fer, etc. Mais fondamentalement, Baudelaire délice cette notion d’une époque particulière : « Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien ». Il refuse de privilégier le moderne ou l’ancien (« Emporte-moi wagon ! Enlève-moi frégate ! » : bon exemple de la mise en parallèle, sur un plan de valeur, d’une réalité ancienne et d’une nouveauté contemporaine de l’auteur)/

C’est dire que la modernité baudelairienne n’est pas le modernisme. Ce mot connote un choix délibéré en faveur ou du plus récent et une valorisation systématique de l’innovation. C’est le fait des avant-gardes, que l’on se gardera de confondre avec la modernité. Avec le décadentisme (et dans une certaine mesure le naturalisme) de la fin du XIXe siècle, on peut même parler d’une « modernité anti-moderniste », le monde contemporain étant perçu d’une manière à la fois aiguë et largement négative.

5. Au pluriel, modernités peut désigner à l’occasion des réalités, comportements ou sentiments propres à l’époque moderne (Jean Lorrain, Modernités, 1885). Mais dans la critique contemporaine, ce pluriel renvoie en général aux esthétiques nécessairement diverses qui résultent, dans la perspective baudelairienne, du caractère fugace de la modernité elle-même.


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