Silgedicht // L’art du langage

Des définitions littéraires se découvrent

Décadentisme

Courant esthétique actif en France et en Europe dans les années 1880, apparu au confluent de facteurs historiques, philosophiques et littéraires. La hantise d’une décadence historique, pensée sur le modèle de la décadence de l’Empire romain, court à travers tout le XIXe siècle.

La défaite de 1871, la Commune, les débuts difficiles de la IIIe République donnent une nouvelle actualité aux thèmes périodiquement repris de la décrépitude de la noblesse, de la corruption de la société ou de l’arrivée de nouveaux Barbares.

En philosophie, une vague de pessimisme accompagne le déterminisme et le scientisme alors régnants. « La vérité est peut-être triste », répète Renan.

Beaucoup d’esprits sont marqués par la pensée de Schopenhauer (1788-1860), tardivement découverte en France. Certains en viennent à présager, voire à souhaiter, une catastrophe finale.

En littérature enfin, l’influence de Baudelaire devient dominante. Gautier, dans se préface aux Fleurs du Mal, parle de son « style de décadence […] dernier mot du Verbe sommé de tout exprimer et poussé à l’extrême outrance » ; en 1881, Paul Bourget élabore à partir de Baudelaire une « théorie de la décadence ».

Le décadentisme littéraire relève le défi de la prétendue décadence collective en y cherchant une source d’inspiration esthétique. Dans le sonnet « Langueur » que publie Le Chat noir en 1883, Verlaine s’identifie à « l’Empire à la fin de la décadence ». Il déclarera plus tard : « J’aime le mot de décadence tout miroitant de pourpre et d’or. J’en révoque bien entendu, toute imputation injurieuse et toute idée de déchéance. Ce mot suppose au contraire des pensées raffinées d’extrême civilisation, une haute culture littéraire, une âme capable d’intenses voluptés. »

Programme que remplit Des Esseintes, le héros du roman de J.-K. Huysmans A rebours (1884). Année décisive : en même temps que ce « bréviaire de décadence » paraissent Le Crépuscule des dieux d’Elémir Bourges, Le Vice suprême de Joséphine Péladan, premier volume d’une longue « Ethopée » consacrée à la Décadence latine , Verlaine réunit sous le titre Les Poètes maudits  des études sur Corbière, Rimbaud, Mallarmé ; Maurice Barrès, qui se retournera plus tard contre la « décadence », fait des débuts remarquées avec sa revue Tache d’encre.
Il faut ajouter l’oeuvre de Jules Laforgue, interrompue par la mort en 1887 ; ses recueils, Les Complaintes (1885) et L’imitation de Notre-Dame la Lune (1886), ainsi que les proses des Moralités légendaires (1887), fournissent l’exemple d’une écriture « décadentiste » savamment travaillée, multipliant les néologismes, les rimes intérieures, les mots-valises et les dissonances de tous ordres.

L’écriture décadentiste fut parodiée dès 1885 ( Les Déliquescences par Adoré Floupette, pseudonyme de Henri Beaucaire et Gabriel Vicaire). Il existe par ailleurs un « imaginaire décadent » aisément reconnaissable : prédominance des espaces clos, des crépuscules, des eaux mortes, évocations de Byzance, de Venise, paysages intériorisés, fuites dans le rêve, dans les perversions sexuelles, recherche systématique de l’artificiel.

Cependant, le décadentisme ne constitua jamais une école, en dépit des efforts de l’obscur Anatole Baju, fondateur du journal Le Décadent (1886-1889). On ne peut plus, comme le public de l’époque et malgré de nombreuses connexions, confondre « décadents » et « symbolistes ». La décadence finit par se fondre dans la sensibilité « fin de siècle » illustrée jusqu’aux alentours de 1900 par des écrivains comme Jean Lorrain (M. de Phocas, 1901), Rachilde (Les Hors-nature, 1897), voire Jarry (Messaline, 1901).


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