Classicisme
Ce terme désigne couramment la période de la littérature française contemporaine du règne personnel de Louis XIV (1661-1715), et plus particulièrement les années 1660-1685, où fleurissent les œuvres des auteurs « classiques », tels que la tradition scolaire les a fixés : Molière, Racine, Boileau et La Fontaine. En réalité, l’usage du substantif est tardif, car il n’y a pas eu à proprement parler d’« école de 1660 » ; c’est au XVIIIe siècle que l’on commence à désigner ces auteurs comme des classiques.
L’usage du terme s’est développé à l’occasion des querelles littéraires du XIXe siècle, avec l’avènement du romantisme : selon Stendhal, qui est l’inventeur du mot, le « romanticisme » est le fait des écrivains qui veulent plaire au public de leur temps, alors que le classicisme caractérise ceux qui veulent « plaire à leurs arrières-grand-pères » (Racine et Shakespeare, 1823).
Selon ses défenseurs (Nisard, Lanson, Brunetière), le classicisme serait donc un âge de maturité et d’équilibre, qui ne pourrait être suivi que par une décadence.
Ce schéma historique s’explique par l’idéal même qui fonde la pensée des auteurs classiques : on se représentait alors l’histoire des civilisations selon un modèle cyclique, où le flambeau des lettres et des arts, accompagnant la suprématie militaire et politique, passait de main en main au fil des siècles. Cette théorie des « siècles » sera reprise par Voltaire quand il écrira Le siècle de Louis XIV, qui célèbre justement cette époque. C’est ce schéma à la fois historique et organique (naissance, jeunesse, maturité, vieillesse) qui explique en grande part la façon dont on a perçu ensuite le classicisme français.
Le classicisme pose d’abord le problème de la langue : il s’agit de se définir par rapport à la langue mère, le latin, qu’ont illustré les grands « classiques » de l’âge d’or romain, Cicéron, Virgile et Horace. L’effort de la génération de Vaugelas et de Guez culmine avec la fondation de l’Académie française en 1635 : la pureté et la clarté qui caractérisent le style classique sont donc avant tout des critères linguistiques. Cet efforts grammatical s’appuie sur la norme du bon usage, qui est la « façon de parler de la plus saine partie de la cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps » (Vaugelas). Cela a conduit à une réduction du lexique : on condamne les termes techniques, populaires, et tout le vocabulaire qui concerne les métiers ou les savoirs précis.
Pour créer cette langue moderne, les auteurs français pratiquent l’imitation des auteurs anciens, que l’on conçoit sur le mode de l’« émulation » (Guez de Balzac) et non comme une simple copie. Cela explique la référence constante à l’Antiquité que l’on trouve dans l’art classique : grands Romains chez Corneille, mythologie chez Racine, fable d’Esope chez La Fontaine.
L’autres aspect frappant du classicisme est l’effort de liaison entre littérature et morale : il s’agit, comme disait le poète Horace, de « mêler l’utile à l’agréable » (miscere utile dulci). En liant cette double exigence à la définition d’un public idéal, les classiques finiront par répéter que la seule règle est de plaire, même si l’on y parvient en dépit des règles. Car la prétendue « doctrine classique » est notamment celle qui impose des règles : unités de lieu, de temps et d’action au théâtre, puis dans le roman ; souci de vraisemblance et de bienséance ; mais le classicisme est aussi constitué par une série de refus, refus du merveilleux invraisemblable, refus de l’outrance métaphorique et des hyperboles, refus de la confusion ou de la trop grande densité du style.
Le juste équilibre s’exprime par le « je-ne-sais-quoi », et par l’affirmation d’une esthétique de la grâce, qui est la beauté en mouvement, et qui accepte une part d’irrégularité et de surprise. L’autre maître mot de cette esthétique est celui de la nature, qui va de pair avec la grâce : opposé à l’effort stylistique trop visible, le naturel, sans nier cet effort, cherche à le dissimuler.
Le bon style est alors celui semble jaillir de lui-même, et qui paraît nous mettre en contact directement avec l’écrivain.
Cet idéal a été brillamment illustré par les lettres de la marquise de Sévigné, mais on le trouve partout, chez Pascal notamment et chez Molière (qui en fait un des secrets de son jeu théâtral) ; il sera l’idéal de style de roman classique. Le caractère insaisissable de cette qualité rejoint un autre pôle de la doctrine classique : la théorie du sublime qui dissocie l’efficacité du discours de l’application mécanique des règles et des niveaux de style. Nuançant ainsi l’assimilation fréquente du classicisme à un simple ensemble de règles strictes et stériles, le sublime et le naturel, sur lesquels la critiques contemporaine a remis l’accent, apportent au classicisme une essentielle dimension de liberté.
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