Eden caché - 3 -
Article par Philippe Sollers paru dans le nouvel Observateur n°2303-2304 du 24 décembre 2008 au 7 janvier 2009.
Le Paradis est embrasé, l’Enfer de plus en plus glacé. On est paradisiaque avec du feu, de la musique, de la danse, de la vitesse, des métamorphoses, dans « ce qui n’est pas démontré mais se sait de soi-même » Voici des guirlandes et des farandoles, une joie qui s’accroît, des choeurs, des chants, des joyaux. C’est ici « le séjour où la joie s’éternise », et quelle plus belle définition du bonheur ?
Dans la malheur, le temps pèse et ne passe pas, dans le bonheur chaque heure en vaut mille. Autrement dit, « l’esprit est clair au ciel, il est fumeux sur terre ». L’allégresse est telle que tout ce que l’expérimentateur voit lui semble être un « sourire de l’univers ».
N’oublions pas que c’est Béatrice qui est venue chercher Dante (pour son salut) et que, donc, la réciprocité amoureuse est ici complète (événement rarissime). Il y a donc « la triste existence des mortels » et un monde d’« heureuse ivresse ». Point clé : l’amour vient après l’acte intellectuel. Intellect d’abord, effusion amoureuse ensuite. La connaissance, ici, produi, par émanation, la lumière et l’amour.
Avec une grande précision, Dante décrit comment son nouveau corps amoureux fonctionne. Il a vu en Enfer, comment les corps sont condamnées à une répétition de plus en plus pétrifiée. Exemple : il voit, au Paradis, un fleuve éclatant de splendeur coulant entre deux rives émaillées de fleurs. Des étincelles butinent ces fleurs (anges, élus) et en ressortent comme « ivres de parfum ». Il va boire, et là, instantanément, le fleuve devient une surface ronde, un lac. Et voici un amphithéâtre, une rose immense, diaprée de pétales sans nombre.
Dante insiste beaucoup sur la multiplicité, la prolifération infinie des visages de flammes aux ailes d’or. Le Paradis est multiple tout en restant unique en un point. La reine de cette rose est la Vierge Marie, dont saint Bernant, au chant 33, prononce l’éloge : « Vierge mère, fille de ton fils ! Terme fixe d’un éternel dessein. »
Oui, vous avez bien lu : une mère est devenu la fille de son fils, le Paradis est, à mots couverts, une apologie de l’inceste. Un homme, sur terre, peut-il devenir le père de sa mère ? Ca se saurait. Début de la Comédie, fin de la Tragédie. Comédie veut dire fin heureuse, le contraire du cinéma courant, quoi.
Au passage, je signale, puisque cette indication n’est jamais remarquée, que Béatrice, dans l’Empyrée, siège au troisième rang, dans l’escalier des Juives, entre Rachel et Sarah. C’est extraordinairement audacieux, de même que la conciliation entre l’Ancien et le Nouveau Testament qui a produit (et qui continue de produire) tant de controverses et de drames. Quoi qu’il en soit, dans le royaume, on ne connaït « ni soif, ni tristesse, ni faim ».
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